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Addresses/Speeches


Le notaire dans la famille du IIIe millénaire (written in French)

18/10/2006

Discours de sa Béatitude l’Archevêque d’Athènes et de toute la de Grèce Mr. Christodoulos

Je vous remercie vivement, M. Bernard, Président du Mouvement, et vous tous ici présents, de votre invitation à participer à ce Congrès. C’est un privilège pour moi de vous accueillir en Grèce et, qui plus est, de m’exprimer sur le thème que vous avez retenu pour votre congrès, un thème de la plus grande actualité et de la plus haute importance. Ayant moi-même étudié le droit et exerçant, depuis plusieurs décennies, une œuvre pastorale, je souhaiterais partager avec vous quelques réflexions personnelles, qui sont parfois l’objet d’inquiétudes. Toutefois, je ne chercherai pas ici, ni ne pourrais prétendre parler en prédicateur.

Je tiens votre profession et votre apport à la société en très haute estime, et je n’oublie pas l’admiration que j’ai ressentie en lisant, dans ma jeunesse, l’hymne de Michelet consacrée à votre profession. Certes, les temps ont changé, l’histoire s’écrit aujourd’hui différemment. Reste que Michelet a su, dans son Histoire de France, transcender les régionalismes pour dépeindre la France dans son essence, « l’identité commune qui la définit », comme il l’écrit en substance. Aujourd’hui, dans votre profession, il faut non seulement se garder de tout oubli et de tout arbitraire, comme le dit Michelet, mais encore rendre à une société morcelée son unité, une unité qui l’a incontestablement caractérisée pendant des siècles.
Lorsque je dis société morcelée, je ne cherche pas à en donner une image exacerbée, de celles que véhiculent les talk shows, dont elles ne sont que le prétexte. Je parle d’une société morcelée, telle que nous la vivons tous, et telle que vous la vivez vous aussi, tant personnellement, en tant que membres d’une famille et d’une communauté, que professionnellement, en votre qualité de notaires. Un morcellement qui bouleverse les repères sur lesquels repose notre vie quotidienne, nos institutions, notre cadre juridique – non seulement dans son application, mais aussi dans sa philosophie.
Face à ce constat, je m’interroge : saurons-nous Européens conserver nos nations – nations non pas dans un sens nationaliste du terme, mais dans le sens d’identités nationales ? Saurons-nous conserver nos sociétés ? Non pas qu’elles soient parfaites, mais elles permettent au moins de préserver un socle de valeurs communes et d’avoir conscience des transgressions, même sans avoir de notions de droit. Saurons-nous garder en mémoire « nos Histoires » au pluriel, et surtout, ce qui est plus essentiel, nos traditions ? Saurons-nous préserver notre patrimoine linguistique ? Non pas seulement en tant que savoir, mais en tant qu’expression de notre âme. Saurons-nous lire nos rimes dans leur langue originale, les utiliser pour exprimer la vie, l’espoir, leur absence et nos amours ?
Un problème de taille se pose déjà : l’absence dans notre pays d’une société unie. Et, de fait, dans tous les pays d’Europe coexistent aujourd’hui une pluralité de sociétés, de traditions familiales institutionnalisées et de langues. Certes, le phénomène de la migration ne date pas d’hier. Mais au fil des siècles, les migrants s’étaient toujours efforcés de s’intégrer le plus rapidement possible dans leur société d’accueil. Ce qui a changé est que les migrants s’obstinent aujourd’hui à conserver à tout prix leurs particularismes, au risque de bouleverser le système et les institutions de la société qu’ils ont cherché à gagner, en oubliant que c’est précisément pour son cadre institutionnel qu’ils l’avaient choisie à l’origine.
Pour rédiger un testament aujourd’hui, ou conseiller un client, il ne suffit plus au notaire français de se fonder sur sa connaissance du droit, son sens de l’équité et sur l’entente plus vaste dont une communauté de valeurs et un fond culturel commun sont les garants. Il faut désormais trouver le moyen de concilier la culture française et son approche du droit avec d’autres cultures porteuses d’une tout autre approche du droit. Soit, admettons que votre ouverture d’esprit vous permettra de relever le défi. Mais jusqu’où faudra-t-il aller ? Et à partir de quand le morcellement de la société aura-t-il raison d’elle, au point que nous aurons, au lieu d’une société unique, une pluralité de microsociétés et de systèmes de valeurs, pas nécessairement compatibles.
Pour contrer ce phénomène, d’aucuns préconisent de créer un droit européen de la famille. Le débat est lancé, vous l’aurez constaté. Comme vous le savez, pour certains illustres professeurs de droit, la création d’un droit européen de la famille est une utopie. D’autres soutiennent que nous pouvons et devons y parvenir, d’autres encore que c’est un aboutissement inéluctable. La question que j’aimerais soulever est la suivante : à supposer que nous y parvenions, cela signifiera-il annihiler le droit de chacune des nations, un droit qui est, tout à la fois, produit et facteur de la société et de son identité ? Allons-nous confier à une commission la tâche de créer de toutes pièces un droit qui ne tienne pas compte du cheminement et du vécu de nos sociétés ? Et, question plus délicate, quels principes ce droit retiendra-t-il et sur quels principes se fondera-t-il ? Quelle sera sa conception de la famille et quelles en seront les sources ?
Vous savez comme moi que d’aucuns proposent de substituer la famille par un contrat d’union civile, c’est-à-dire un statut qui permettrait à un couple hétérosexuel ou homosexuel, ou encore à un adulte seul d’adopter un ou plusieurs enfants. Cela signifie que la notion de mariage, en tant qu’union d’un homme et d’une femme devient caduque. Ou peut-être qu’il sera toléré, mais en tant que simple manifestation folklorique, qui serait le fait de marginaux. Je m’interroge alors : n’est–il pas évident qu’adopter un statut d’union civile revient à miner les fondements de la famille, de la société et du droit ?
Pour prendre quelques exemples : en Espagne, la légalisation du mariage de couples homosexuels s’est accompagnée de la suppression des termes « père » et « mère », remplacés dans les registres d’état civil par « progéniteurs A et B ». En Inde, une loi a été votée en juin 2005, interdisant aux enfants nés d’un donateur de sperme ou d’ovaire, de se renseigner sur l’identité de leurs véritables parents. Tandis qu’aux Etats-Unis et au Canada, des pressions se font sentir pour légaliser les mariages polygames, avec, à la clé, une prolifération de mariages homosexuels et des enfants à identités parentales plurielles.
Tout à la fois ouverte sur l’innovation et porteuse de fortes traditions et d’une identité nationale forte, la France n’a, pour l’heure, pas cédé à ces tentations, et je l’en félicite. C’est avec intérêt et satisfaction que j’ai lu la décision des députés français de rejeter le mariage homosexuel. Mais le danger réside dans la tendance de notre société à se disculper de ses désirs, et à considérer la libre réalisation de ses désirs comme un droit, à condition de ne pas nuire à autrui. Nous en sommes ainsi arrivés au point de concevoir le désir d’avoir un enfant comme un droit d’accéder à la parentalité. Et, bien entendu, à considérer qu’accéder à la parentalité coûte que coûte ne lèsera personne. Cette proposition est dangereuse en ce qu’elle suppose que l’enfant est dépourvu de droits : car on ne lui demande pas s’il se sent lésé.
Au risque de me lancer dans une tirade interminable, je ne m’attacherai pas ici à démontrer combien le principe selon lequel « chacun est libre de faire ce qu’il veut, tant qu’il ne nuit à personne » est dangereux. Je me contenterai de souligner que les jeunes et les enfants qui ne vivent pas avec leurs parents naturels sont de plus en plus nombreux à se regrouper en réseaux pour s’entraider mutuellement à les retrouver. Il n’en faut pas plus pour montrer qu’il est faux de penser que nos enfants ne souffrent pas de nos choix.
Questions plus douloureuses encore : qui sont-ils, ceux qui croient pouvoir enterrer le christianisme, tout en maintenant la famille en vie ? Et comment comptent-ils s’y prendre, sachant qu’en réduisant le christianisme à néant, on laisse l’esprit dériver vers des logiques dangereuses, qui voudraient reproduire l’homme à la photocopieuse ! Sur quel fondement légal empêcherons-nous alors le don, non pas forcé, mais rémunéré d’organes, tels le cœur ou la tête, prélevés sur de pauvres ouvriers et transplantés chez de riches receveurs, qui auraient les moyens de se les offrir ? Comment empêcher légalement l’arrivage par centaines aux douanes, d’yeux, de reins et de membres stérilement emballés et destinés aux plus nantis ? Et qui saura, et sur quelle base, tirer la sonnette d’alarme sur le risque de cannibalisme à nos portes ?
Bien évidemment, la question des principes sur lesquels se fondera le nouveau droit européen ne se résoudra pas dans le cadre d’un débat sur l’européanisation. L’ébranlement des fondements de la famille s’accompagnerait de conséquences incalculables. Aristote déjà - avant l’avènement du christianisme -, affirme au premier chapitre de son traité Politique que la famille est le fondement de la cité et de la société, et non l’inverse. Autrement dit, condamner la famille revient à condamner la société. Pour Homère, père de la poésie européenne, la famille est le fondement des institutions. L’enfant, loin de son père et de sa mère, dit-il, n’a pas conscience de l’importance de ses racines, et n’a pas conscience de l’enracinement et de la continuité du droit. Le Nouveau Testament va plus loin, puisqu’il donne à la famille un fondement théologique : il enseigne que Dieu lui-même est famille, parlant du Père et du Fils, mais aussi des hommes comme enfants de Dieu.
Ce ne sont là pas des idées, mais la réalité du christianisme et, en tant que telle, le noyau dur de notre civilisation. D’où l’intime conviction du grand Braudel, que la pensée européenne ne se conçoit que dans le cadre d’un dialogue avec le christianisme, même houleux. Ce cadre (celui d’un dialogue avec le christianisme) est essentiel à la compréhension de l’humanisme, aspect fondamental de la pensée occidentale .
Je m’arrêterai là dans l’énumération des sources de la pensée européenne, pour ne pas faire de mon discours un travail académique. Vous aurez certainement remarqué, d’ailleurs, que l’Union européenne tremble à l’idée de devoir faire le point sur ses racines, sur les éléments qui caractérisent sa pensée. Notre société cherche aujourd’hui à se défaire de la notion de péché pour se consacrer librement à des préoccupations de rentabilité et de consommation. Autant de courants de pensées et d’opinions qui s’inscrivent en contradiction avec le christianisme ou l’occultent. Nombreux sont ceux qui cherchent à créer une Europe nouvelle, un monde européen nouveau, où le christianisme n’aurait ni présent, ni futur, ni même passé, si possible. Ils veulent créer un monde à partir du néant : ils vont réduire le monde à néant.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Mon objet n’était pas de vous apprendre quelque chose de nouveau. Au contraire, si mon discours a été si dense, c’est que je savais que vous connaissiez le sujet et que vous y ajouteriez vos propres éléments et paramètres. J’ai d’ailleurs consulté votre site Internet pour me rendre compte que vous vous êtes déjà largement penchés sur les problèmes de la famille contemporaine. Si j’ai accepté d’apporter ma contribution sur les problèmes que vous abordez aujourd’hui, c’est que j’ai à cœur de vous soutenir dans vos efforts, car, j’en suis sûr, il s’agira d’un travail de longue haleine. J’ai été ravi de voir que vous ne vous considériez pas comme un organe exécutif, et que vous ne réduisiez pas non plus votre rôle à celui de scribes qui se contenteraient d’enregistrer des normes et des directives. J’ai été ravi aussi de constater que vous vous définissiez comme des conseillers de familles. C’est un rôle de première importance, un rôle qui vous conforte dans votre position et vous donne les moyens de réagir aux évolutions qui menacent la famille. Un rôle qui vous donne la force de soutenir le lien parents-enfants, et de faire comprendre aux parents que la famille est aussi, pour être poétique, le nid de deux oiseaux du paradis, un nid fait d’amour et d’abnégation de soi. Il vous donne la force d’apprendre à la société que l’enfant a besoin de ses parents, et non pas d’un ou deux adultes qui s’occupent de lui. D’apprendre, enfin, à chacun que la présence de sa mère et de son père est un droit imprescriptible de l’enfant, et qu’aucune société n’a le droit de le lui retirer, au risque de s’autodétruire.
Il me reste donc à vous encourager à poursuivre votre œuvre. La famille vous réclame, la France a besoin de vous et l’Europe vous attend. Que Dieu vous bénisse.



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